mardi 2 septembre 2008

PROLOGUE... Quand je sera grand, je sera réalisateur!

EXTRAIT 1

« Ainsi en est-il du cœur de l’homme. Le besoin de faire œuvre qui dure, qui lui survive, est le signe de sa supériorité sur tout ce qui vit ici-bas. C’est ce qui a fondé sa domination et c’est ce qui la justifie sur le monde entier. »

L’île mystérieuse, Jules Verne

J’ai 41 ans et Nicolas Sarkozy vient d’être élu Président de la République. Il est temps pour moi de faire le bilan (valise ou sac à dos ?) avant de disparaître avec les milliers d’intermittents du spectacle qui mangent le pain des français qui travaillent ! N’y voyez là qu’une petite baisse de moral temporaire, mon optimisme naturel va vite reprendre le dessus. Ceci n’est donc pas un testament…A peine un récit…Nous dirons une série de souvenirs personnels que la disparition récente de mon grand-père maternel, Robert William Marshall, celui que tout le monde appelait simplement Bob, rend finalement encore plus nécessaire pour moi. Car, et vous me pardonnerez cet aparté familial, ce grand-père à la silhouette filiforme n’a pas fait que me transmettre ce physique avantageux de vrai maigre et ce nuage imperceptible de sang anglais, il m’a surtout appris à marcher. A marcher encore et encore, sur les chemins comme dans la vie. Il m’a fait partager sa curiosité permanente, son goût du voyage géographique ou littéraire, son soucis du bon mot au bon moment, une sorte de naïveté constructive qui l’amenait à ne jamais douter que la vie était faite de choix assumés sans regrets. Je ne peux pas oublier que j’ai passé de longs mois à tenter de le battre au tennis pour gagner cette raquette qu’il m’avait promise (je l’ai encore !), que je lui ai servi de caddy au golf à de nombreuses reprises, une façon détournée et très personnelle de m’apprendre les rudiments du swing sans avoir à payer les droits d’entrée, que nous avons sillonné ensembles les canaux français avec son légendaire navire le « Monet », dans une succession de manœuvres maladroites et rocambolesques dont il avait le secret (certaines écluses gardent encore les traces de notre passage !), pour finir en apothéose en naufragés sur une île de la côte bretonne, rejoignant piteusement le port remorqués par les gardes-côtes, sous l’œil exaspéré de ma grand-mère. Des anecdotes avec lui, j’en garde des dizaines qui ont pour dénominateur commun ce qui pourrait devenir une devise : essayer toujours… et garder l’humour !
Alors, au lendemain des adieux où fut lu le poème qu’il écrivit il y a douze ans pour ses propres obsèques, me vient l’envie de revenir sur cette part de ma vie qui prend certainement racine en partie dans ces moments partagés avec lui. Il avait 95 ans, ce qui me laisse encore un demi-siècle d’aventures professionnelles à vivre ! Mais quarante ans est finalement un bel âge pour faire le premier point même si il peut sembler un tantinet présomptueux que de vouloir déjà se pencher sur son passé audiovisuel et commencer une autobiographie. On parle souvent de « jeunes » cinéastes de quarante ans, je vous l’accorde! Le « jeunisme » chez les réalisateurs n’est pas encore d’actualité pour une raison simple : à quelques exceptions près, la tendance est plutôt au « va mûrir et reviens nous voir ! ». Alors ? Aurais-je l’outrecuidance (il faut le placer celui-là !) de considérer mes premières années de « créations » audiovisuelles comme dignes d’intérêt ? Y aura-t-il une morale à tirer de ce parcours un peu atypique ? Une leçon ? Un cas d’école ? Un exemple à ne pas suivre ? A vous de voir. Avec le recul, j’ai au moins une certitude, celle d’avoir oublié quelque part cette maxime à deux euros : le chemin le plus rapide entre deux points est encore la ligne droite ! J’ai finalement passé la moitié de ma vie à me demander si j’avais fait le bon choix ou à me dire qu’il n’y a pas de plus belle façon de gagner sa vie, à parcourir la planète pour raconter des histoires qui n’intéressaient quelquefois que moi ou qui au contraire répondaient à une attente générale, à alterner tournages et boulots de vendeur Fnac ou d’opérateur Mondial assistance, vingt années à me remettre en question à chaque nouvelle réalisation, à ne plus supporter de revoir certains de mes films, à avoir la sensation de tout reprendre à zéro chaque année et à faire des cauchemars avant chaque présentation…Deux cent quarante mois à prouver que j’avais peut-être ma place dans la difficile confrérie des auteurs, à lutter contre cette trouille cyclique de n’être qu’un usurpateur ou le complexe douloureux de « l’incompris ». Et le plus étrange dans tout cela, c’est qu’en ayant pourtant l’impression fréquente de trop attendre ou de ne pas aller au bout de beaucoup de mes projets, en me heurtant trop souvent (à mon goût) au mur épais de décisions télévisuelles injustes, frileuses ou prématurées, les années écoulées depuis mes premières tentatives d’aller vers ce métier de documentariste ressemblent finalement à un concentré de (certains) de mes fantasmes de jeunesse ou à une liste improbable d’activités et de lieux qui croise heureusement encore dans ma tête celle de tout ce qu’il me reste à faire ! Ouf ! (C’est là que l’on reprend sa respiration…)

Dans le désordre (un désordre à l’image de ce parcours professionnel un rien accidenté) et pour prendre de la hauteur sur un monde cruel, j’ai gravi le Kilimanjaro en Tanzanie, le Toubkal au Maroc, le Mauna Kea à Hawaii, le Semeru à Java, suivi les pélerins sur le Fuji-Yama au Japon, traversé la Nouvelle-Calédonie à pied, dormi au bord d’un cratère actif en Indonésie, bivouaqué au creux d’un rocher à 3000 m sur l’Aiguille Verte, dans un igloo à Flaine ou sur un radeau dans les marais de Guyane. Dans un soucis de maîtrise des moyens de transport, j’ai passé deux jours dans une locomotive à vapeur dans les Cévennes, grimpé sur le toit d’une moissonneuse-batteuse en Champagne, navigué sur une pirogue à balancier sur l’Ile des Pins, un trimaran en Polynésie, survolé l’Amazonie en ULM, Tahiti en hélicoptère et le Mont-Blanc en deltaplane. Dans ma quête permanente de l’esprit humain et de sa complexité (et je peux vous dire que l’on en voit de belles !), j’ai vécu avec les tradipraticiens de Madagascar ou du Burkina-Faso, rencontré le ministre du volcan Mérapi, le chaman du Popocatepetl au Mexique, assisté au miracle de la San Gennaro à Naples, partagé la coutume avec les tribus Kanaks de Lifou, pêché la langouste clandestinement avec eux, l’espadon en Guadeloupe, le bar sur l’Ile d’Yeu, la dorade à St Tropez ou le tassergal en Espagne. Pour sentir ma place dans l’univers, j’ai suivi des chasses à courre à Rambouillet, assisté à la ponte des tortues-luth en Guyane, filmé les lémuriens dans les forêts malgaches, suivi le loup en raquette dans les Alpes, donné le biberon à un lionceau albinos au zoo de Beauval, été chargé par un éléphant dans le cratère du Ngorongoro, suivi par les dauphins aux Antilles, et vu l’éclosion d’une autruche dans un élevage du Charollais. Avec l’intention louable de bien connaître le terroir et évidemment sans aucune arrière-pensée gastronomique, j’ai assisté à la récolte de la lavande en Provence, dégusté le Lacrima Cristi sur les pentes du Vésuve, goûté au foie gras dans les Landes, au caviar en Aquitaine, suivi la fabrication de la tome en Savoie, la récolte des huîtres en Bretagne, des châtaignes en Ardèche, des pruneaux à Agen. Pour me rincer l’œil, j’ai contemplé le jour perpétuel dans les eaux turquoise de Blue Lagoon en Islande, les laves du Kilauea la nuit dans le Pacifique ou les panaches du Bromo à l’aube, j’ai admiré les fous de bassan sur l’atoll de Marlon Brando, les fougères géantes du Mont Panié, les vestiges des Iles du salut ou du Grand Sud ou le coucher de soleil dans le cimetière de chars de Kaboul. Je me suis dégourdi les jambes sur les sentiers du bagne, dans les layons de la forêt amazonienne, sur les rails désaffectées de la petite ceinture de Paris ou sur la lave brûlante du Paricutin. Les yeux fermés (même un caméraman peut faire des erreurs), j’ai écouté « the Köln Concert » de Keith Jarret devant le palais du facteur Cheval, l’orchestre du gamelang sacré du Sultan à Yogyakarta, les chorales des femmes sur la Grande Terre calédonienne ou des trios de jazz à Bercy. Dans une sorte de marée émotionnelle, j’ai alterné le monde des SDF de la capitale, les dorures du palais de la Légion d’honneur, les patrouilles de l’ONU en Afghanistan, les vétérans des villages perdus de l’Atlas, les porteurs de soufre du Kawa Ijen ou les artistes de l’art brut. Comme une revanche sur une certaine paresse scolaire, j’ai rencontré des architectes, des volcanologues, des sculpteurs, des paysans, des conservateurs, des acteurs, des romanciers, des avocats, des biologistes, des médecins, des éleveurs, des historiens, des chefs de tribu, des religieux, des militaires, des politiques, et appris avec eux l’architecture judiciaire, l’agriculture raisonnée, le surfcasting, l’ethno-botanique, la géophysique, la gestion du risque, les espèces invasives, l’histoire du bagne, la gestion des forêts tropicales, le rôle de l’Empire dans la guerre, la cryptozoologie, la robotique ou le commerce équitable. Bien. Voilà, voilà…J’ai du mal à justifier ce que je viens d’écrire ; personne ne voudra jamais croire que je ne suis pas le pire vantard de la planète, voire du système solaire (là, je m’avance peut-être, mes connaissances du martien sont encore imparfaite, je ne peux donc pas comparer…) Bref, je suis une éponge gorgée d’informations hétéroclites qui attend avec impatience qu’on la plonge de nouveau dans le bain trouble du monde des médias! (Vous pouvez noter cette phrase, elle peut vous servir à d’autres occasions…)
Pour en revenir au personnage précédemment cité, à savoir moi-même, lorsque je regarde cet individu naïf, optimiste, inconscient, égocentrique, et quelquefois un rien fier de lui, qui vient de traverser la première moitié de sa vie dans ce bric à brac audiovisuel, une seule angoisse me taraude : les vingt prochaines années seront-elles à la hauteur ? Je le souhaite de toutes mes forces déclinantes de quadragénaire, j’y travaille chaque jour et je sais que le jour où je cesserai de rêver à d’autres films, l’agonie sera proche ! Quoi qu’il en soit, j’ai décidé de raconter, pour ne pas oublier d’abord, mais aussi pour me tourner encore plus vite vers ce qui m’attend peut-être. Un petit retour en arrière avant d’appuyer de nouveau sur Play. Bon, autant se l’avouer, je le fais surtout pour moi, pour ma fille Mathilde peut-être, pour la femme de ma vie certainement aussi, car le nombre de lecteurs potentiels de ces mémoires me paraît assez aléatoire ! Comme le disait mon maître en toutes choses, le vénérable Olivier Malet, professeur de linguistique parti réfléchir dans la solitude et les hauteurs d’une tour de Hong-Kong, « les chemins qui mènent à la note fondamentale de l’univers sont innombrables… » (je cite de mémoire, vous me pardonnerez l’inexactitude), une maxime qui a guidé mes pas sur les pentes abruptes de la sagesse et que je suis heureux de partager avec vous, ami lecteur. Au diable l’avarice !

Eric Beauducel,

juin 2007








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